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Chronique cinéma sur le film "Je verrai toujours vos visages"

Un film de Jeanne Herry (Mars 2023) – 1h58 / drame

 

Jeanne Herry poursuit son remarquable parcours de réalisatrice en 2023 en signant ce qui pourrait bien être son magnum opus : Je verrai toujours vos visages, un drame à la sensibilité palpable. On y retrouve sa patte habituelle, empreinte de lyrisme.

C’est bel et bien une fiction mais de nombreux éléments rappellent l’atmosphère du documentaire. C’est probablement parce que le film traite d’un sujet souvent méconnu : la Justice Restaurative. Il faut donc poser les bases de cette pratique pour que les spectateurs puissent profiter de l'œuvre (et de cette critique). 

La Justice Restaurative est proposée en France depuis 2014. En parallèle du traitement pénal des affaires, elle permet aux auteurs d’infraction et à des victimes de dialoguer lors de rencontres encadrées par des médiateurs. Les victimes se retrouvent face à face avec leurs traumatismes tout en restant en sécurité. Les délinquants, quant à eux, ont une chance de comprendre les conséquences de leurs actes sur les autres, en y étant confrontés.

Je verrai toujours vos visages nous plonge dans ces groupes de parole où les émotions sont décuplées. C’est un film choral qui nous fait suivre les parcours de dix personnages : quatre victimes, trois criminels et trois médiateurs. 

Le groupe de parole réunissant agresseurs et agressés se concentre sur les vols avec violence. Une histoire parallèle suit une survivante d’inceste, aujourd’hui devenue adulte, qui est terrifiée quand elle apprend que son violeur, son grand frère, s’apprête à emménager dans la même ville qu’elle. Elle craint de le croiser dans les lieux publics et les flash backs l’envahissent. Elle commence alors les démarches pour être accompagnée dans une rencontre avec ce dernier.

Bouleversements en gros plans

Le casting cinq étoiles joue à la perfection la palette d’émotions que la réalisatrice veut mettre en avant. Adèle Exarchopoulos, Dali Benssalah, Leïla Bekhti, Gilles Lellouche, Miou-Miou ou encore Elodie Bouchez, y expriment magistralement la colère, la peur, l’incompréhension, la culpabilité et la honte de leurs personnages. Jeanne Herry nous offre le cadeau de les filmer en gros plans quand ils développent de longs monologues sur ce qu’ils ont vécu et sur l’impact ressenti dans leur vie actuelle. On peut alors apprécier chaque larme, chaque froncement de sourcil et chaque tension des traits du visage.

Au fil des discussions entre ces protagonistes, les arcs narratifs de chacun se déploient en une progression touchante. Les victimes, souffrant toutes de stress post-traumatique, parviennent au fur et à mesure à reprendre confiance en elles et, à petit ou à grand pas, elles avancent vers la guérison. Du côté des agresseurs aussi on peut noter du changement. Certains comprennent la gravité de leurs actes et se tournent vers la rédemption, alors que pour d’autres, on sent que le chemin sera encore un peu plus long. Dans tous les cas, la réparation apparaît comme maître mot de cette œuvre. Personne ne ressort inchangé de ce voyage. Pas même les spectateurs.

La plupart ont quitté la salle de cinéma avec les yeux rougis. Non pas parce que Jeanne Herry s’est laissée aller au sadisme cinématographique et qu’elle donne une fin tragique, bien au contraire ! Le film se veut éminemment optimiste. Alors pour les personnes ayant vécu des événements traumatiques, c’est une expérience cathartique à ne pas manquer.

Eva Mordacq

 

 

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